Dans sa pièce écrite en 1960/61, Samuel Beckett sonde un sujet mélancolique, teinté d’humour, qui, aujourd’hui peut-être plus qu’à l’époque encore, nous interpelle et nous va droit au cœur : comment pouvons-nous, sur le chemin de la sénescence, fragilisés par les effets du temps, vivre, ressentir et espérer le bonheur ? Beckett nous immerge dans la vie d’une femme d’âge mûr, ensevelie jusqu’au torse dans un monticule, le bas du corps immobile, restant invisible pour les autres. Elle ne communique qu’à travers ses bras, ses mains, son visage, ses yeux pleins de vie et sa parole. Elle tente de transformer chaque jour en un jour heureux. Elle essaie de happer des moments de bonheur et y parvient grâce à un rituel, qu’elle s’est elle-même créé. Elle range les objets qui font partie de son quotidien, ses affaires de toilette, elle les dispose autour d’elle, leur parle, fait ressurgir à leur contact ses souvenirs d’antan et y puise la force de sourire. Cela lui procure stabilité et vigueur et donne un sens à sa vie, malgré le déclin de sa mobilité. Une chance particulière pour elle, la présence de son mari Willie, qui, d’un naturel très peu bavard, lui témoigne des signes d’attachement. À la fin, peut-être à la fin du dernier jour heureux, il n’est pas étonnant qu’elle chante leur mélodie préférée, à savoir l’air déchirant de La Veuve Joyeuse : « Lippen schweigen »…