Fabrice Melquiot
Mu

Tu perdras le sommeil au fur que tu perdras la vue. Tandis que tu pénétreras la nuit, tu pénétreras dans la nuit de plus en plus profonde: ta mémoire, déjà labile, s’amenuisant à mesure que – au sortir d’une longue léthargie – tu prendras conscience de ton état. (Comment désormais faire le départ du jour et de la nuit?)

Incipit de Compact, Maurice Roche, Éditions Tristram

La pièce

Mu fait parti de ces textes qu’un auteur offre à un metteur en scène, en l’occurrence ici à un metteur en scène. Faire don de son écrit pour le voir passer à la scène. Construit telle une élégie, Mu est un véritable voyage au cœur de l’individu. Cette formidable écriture frappe par son authenticité. Il fallait être au plus proche des mots pour souligner la force, révéler dans toute la force brute de l’écriture, laisser apercevoir les possibles d’un cheminement intérieur en mouvement physique.

L’écriture de Fabrice Melquiot est cyclique, identique aux thèmes musicaux qui étaient une œuvre. Ici, l’absence et le souvenir, les rouages d’une pensée, sont les notes de la parole libérée de cet homme. Les mots constituant autant de pierres laissées sur le chemin de cette forêt dans lequel chacun est entrainé.

Construit sous forme de chant, Mu offre une partition vibrante sur les quotidiens de la vie. Véritable odyssée humaine, Fabrice Melquiot accomplit dans son écriture un nouvel acte, celui de sceller le destin d’un homme à celle d’une humanité toute entière.

Je cherchais un monologue pour un homme d’une quarantaine d’années. J’adore l’écriture de Fabrice Melquiot mais je le connais surtout par son volet jeune public, je travaille souvent des extraits de ses textes dans mes ateliers en milieu scolaire. Et c’est en jetant un œil dans ma bibliothèque que je suis retombée sur Lisbeth, un magnifique duo, une sensibilité et une poésie rare.

J’ai donc lu tout ce qu’il avait écrit pour un homme seul et j’ai adore « 33 derniers soupirs ». Je ne saurais pas expliquer pourquoi je ne voyais absolument pas le comédien pressenti pour cette création. Le casting est le premier acte de mise en scène et on peut trouver autant de justifications qu’on veut pour motiver un choix. J’ai fonctionné à l’inverse, un texte pour un comédien, mais le principe est le même.

J’ai contacté Fabrice Melquiot pour savoir s’il n’aurait pas un autre texte à me proposer, et Mu est arrivé.

Bouleversante Mu. Le souvenir de la première lecture. Une claque. Mu est noir. Mu est mélancolique. Mu est le tunnel d’où on voit la lumière. Alors on avance. On suit cet homme dont la vie a été bouleversée par Mu. On est bouleversé. Cette humanité dans les propos. La carcasse encore droite mais l’intérieur ravage. Sur scène, comme arbres comme autant de témoins, des ombres qui se profilent. Et lui slalome entre ces silhouettes, entre ses propres mots. Johann Fournier en « faiseur d’images » nous transporte dans cette forêt intérieure ou les tripes exposées IL se livre. Baigne du spleen lifte des riffs de Sebum, il nous accompagne, nous guide vers l’envers du décor de l’amé humaine.

Laetitia Mazzoleni.

Je penserai a Mu dans les paysages futuristes et démodés. Je penserai a Mu dans les mirages au désert, dans l’épure de certains matins, je penserai a Mu dans les matières silencieuses, sous la vague. On n’arrache pas facilement du mur de sa chambre le poster de ceux qu’on a adules et qui nous ont trahi – parce qu’ils ont fini dans de mauvais films, parce qu’ils ont sorti une chanson de merde ou parce que le vent tourne et c’est tout, c’est comme c,a on emprunte ailleurs de quoi tenir debout et devenir encore, qu’est-ce qu’on va devenir ? C’est la plus légère et la plus profonde des questions. C’est la seule.

On n’arrache pas facilement les baisers de la peau. Je te le dis à toi comme à n’importe qui, parce que depuis longtemps le flambeau de ma fierté je l’ai soufflé, non moi je ne suis pas fier. Mu le sait.

Elle me connait. Elle dit qu’elle me plaint, qu’elle, elle est fière et fière d’être fière, fière deux fois. Elle m’a sonné. C’est fini. Je peux plus.

 
 
Mise en scène Laetitia Mazzoleni
Avec Nicolas Gény
Scénographie Johann Fournier
Musique originale Sebum
Création lumière Sébastien Piron